Pour la troisième année, je vais faire un petit voyage itinérant en Citroën 2cv. Ce seront les deuxièmes vacances en tractant ma petite caravane, surnommée Korrigan. Les âmes perfides se moqueront en lui trouvant un air d'escargot, à moins que ce soit une allusion à la vitesse de croisière de la 2cv4. Si l'attelage évolue "tempo giusto" comme disent les musiciens, le cœur de ma vaillante Citroën ne rechigne pas à l'effort, quand bien même il faut jouer du levier de vitesses et entraîner parfois le "flat twin" dans des régimes haut perchés que le faible couple et l'étagement de la boîte ne permettent pas d'éviter.
Et pour finir de rétablir la vérité, j'apporte la preuve que nous n'étions pas les plus lents sur la route!
Dès que la ligne médiane se transforme en ligne discontinue, c'est promis, je "tombe une vitesse" et je dépasse !
Il y a trois ans, dans le Morvan, nous étions sans sac à dos, et la moyenne montagne ne nous faisait pas peur. Dans le Berry, en 2019, pour une première avec Korrigan, j'avais choisi un terrain sans grand dénivelé. Cette année, ce seront les châteaux méconnus de Sologne et des rives du Cher. Le relief y est adapté à mon équipage, et les points de visite nombreux.
Sur l'itinéraire menant à Bracieux, lieu choisi comme camp de base, la route traverse de nombreux villages solognots. On y trouve des maisons typiques et des églises qui globalement font la part belle aux colombages et aux briques, dans la plus belle tradition régionale.
Le premier village que je vous présente est Isdes, positionné sur la méridienne verte. La création du village remonte au moins à 855, comme en atteste un acte de Charles le Chauve, un des petits-fils de Charlemagne. Avez-vous remarqué comme à l'époque les surnoms étaient légion?
Au milieu de la place centrale trône l'église Notre-Dame de l'Assomption. Je reste toujours fasciné par les multiples déclinaisons d'un édifice religieux qui devrait se vouloir avant tout fonctionnel, mais force est de constater que cela n'est pas le cas. Il n'est pas besoin de croire pour apprécier les particularités de chaque monument et la créativité de leurs bâtisseurs.
Les caquetoires sont une des particularités des églises du centre de la France. Adossé ou pas à l'église, le caquetoire est un lieu couvert qui accueille les fidèles et leur permet de parler, littéralement caqueter, bavarder ou tenir des propos sans intérêts.
Je trouve celui de Isdes assez remarquable et bien mis en valeur par les jardiniers de la ville.
A l'intérieur de l'église, lors de la restauration, des fragments de peintures murales datant de la période allant du XIIe au XVe siècle ont été remis au jour et préservés.
Après cette première pause, nous arrivons à Souvigny. Pour introduire un des plus jolis village de Sologne, je vous propose de tester votre culture littéraire. Savez vous qui a dit:
"Les chanceux sont ceux qui arrivent à tout; les malchanceux sont ceux à qui tout arrive."
J'adore aussi le deuxième indice:
" Je fais des pièces, et ma femme des scènes"
Son prénom est Eugène, et son nom Labiche, dramaturge français et membre de l'Académie Française, spécialisé dans le vaudeville.
Né et décédé à Paris (1815 - 1888), Eugène Labiche achète en 1853 le Château de Launoy à Souvigny. Il en sera le maire de 1868 jusqu'en 1878, d'abord désigné par le préfet puis élu par ses pairs. A cette occasion, il dira modestement qu'il a gagné cette élection car il était le seul de la commune à posséder et à utiliser un mouchoir ! En hommage, l'homme a droit à un buste aux abords de l'église!
Dès l'entrée du village, les maisons à colombage nous rappellent où nous sommes. Malgré la canicule, l'herbe est encore verdâtre.
La Sologne est un pays de forêts dépourvu de carrières. Les ossatures des maisons sont donc constituées de bois et de torchis, matériaux disponibles localement et peu chers. Les briques, plus onéreuses, étaient réservées aux édifices religieux et aux châteaux. Le Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques de Sologne explique dans son ouvrage que ce sont les plantations de résineux, combustible nécessaire à la cuisson, qui ont permis de développer les briqueteries.
L'église Saint-Martin est toute simple. On dirait une chapelle. Je trouve le caquetoire en angle magnifique.
Joli travail de charpente. A la présence de corbeaux, on comprend que le caquetoire a été pensé dès le début.
A l'intérieur, on retrouve bien les matériaux disponibles en Sologne. On est aussi frappé par la modestie du bâtiment. On dirait une chapelle. La structure en chêne a été assemblée pour soutenir le clocher.
La découverte des peintures murales date de 1988. Elles datent du XVIIe siècle et représentent des pairs de l'église ou des apôtres.
L'ancien presbytère a été transformé en gite.
l'axe nord-sud qui relie Orléans à Vierzon est la Route Nationale 20. Entre les deux villes précédemment citées, on traverse de petites villes tous les quinze à vingt kilomètres. Entre La Ferté-Saint-Aubin et Salbris, Lamotte-Beuvron fut, au début du siècle dernier, "capitale de la chasse" et reste connue à travers les célèbres demoiselles Tatin et la tarte du même nom.
Les épris de chevaux savent aussi que la Fédération Française d'Equitation y a installé son siège et le parc équestre fédéral: 520 boxes, 200 lits, 25 hectares de pistes sportives, 25 hectares de cross ... Les installations sont impressionnantes.
J'entends certains ronchonner "encore une église"! Certes, mais sachez que ce sont des espaces dans lesquels la fraicheur règne en période de canicule. Rouler capote rabattue est plaisant, mais ne protège pas des rayons insistants du soleil, et comme le savent tous les cuisiniers, il faut savoir sortir la bête du four avant qu'elle ne se dessèche complètement.
Si le matériau utilisé est majoritairement la brique, des pierres ont néanmoins été acheminées pour certaines parties. La construction de l'église date du XIXe siècle (l'ancienne était jugée trop petite). Vous noterez que le clocher est également en brique. On y trouve quatre cloches, chacune affublée d'un prénom de femme (Angèle, Marie-Thérèse, Célestine et Anne-Marie Célestine, par ordre croissant de poids) sonnant dans le même ordre le SI, LA, SOL et FA. Que les femmes portant ces prénoms ne se formalisent pas du poids des cloches. Toute assimilation ne serait que fortuite et mal venue!
L'utilisation des briques rend la structure légère. La voûte y est en bois enduit et peint. L'ensemble repose sur les croisées d'ogives qui prennent appui sur les poteaux en pierre.
Au fond du chœur, la voûte est décorée de scènes bibliques.
Le temps passe et à défaut d'avoir une horloge dans la voiture, celle de mon estomac me rappelle que la mi-journée est passée depuis longtemps et qu'une collation serait la bienvenue. Nous entrons justement dans un nouveau village qui répond au nom de Chaumont-sur-Tharonne.
Le village devrait son patronyme à la petite rivière au bord de laquelle il est situé et au “Calvus Mons”, butte aride sur laquelle les gallo-romains aménagèrent un oppidum destiné à prévenir et à repousser l’envahisseur.
Riche de son histoire et des personnages célèbres qui y sont passés ou y ont vécu, la municipalité semble avoir un goût avéré pour les œuvres d'art où le moderne se mélange avec les faits historiques.
L’une des trois places porte le nom de l’aviateur Louis Blériot qui a habité la commune.
C'est en hommage à ses exploits, et en particulier à sa traversée de la Manche le 25 juillet 1909, qu'une sorte de maquette d'avion a été posée dans le parc de l'église.
Cette fois le caquetoire est séparé de l'église.
Dans les différentes bornes parlantes mises à la disposition des touristes pour les éclairer, c'est la seule que j'ai trouvée fonctionnelle. On y fait parler une statue de vieille dame qui raconte la vie d'antan.
L'église Saint-Etienne mesure trente-cinq mètres de long et neuf mètres de large. La nef date du XVe siècle. Lors des travaux de restauration, la voûte plâtrée a été remplacée par une voûte en lambris de chêne comme à l'origine.
Derrière les badigeons modernes et les lambris de la grande nef se cachaient des peintures murales, laissant apparaître des personnages, des scènes de chasse, des martyrs avec leur tête dans la main… Elles ont été remises en valeur, sans être refaites à l’identique. Le portrait de Saint Christophe est tellement imposant qu'il a nécessité de déplacer la chaire pour laisser la place à la gigantesque représentation du patron des voyageurs.
Juste en face de l'église, l'auberge "La Croix Blanche" me tend les bras, et surtout une table en terrasse et à l'ombre!
Le bâtiment était dit-on l'ancien monastère. Un passage souterrain aurait même permis aux moines d'aller à l'église! A moins que ce soit pour aller manger en cachette, qui sait?
Deux personnes célèbres seraient également passées par Chaumont: Jeanne d'Arc et le Général de Gaulle. Nous reparlerons de Jeanne d'Arc un peu plus tard.
L'intérieur de l'établissement est dans le style et l'accueil sympathique. Ce n'est pas bon marché, mais on ne vit qu'une fois!
Le menu disait Gambas, pas Gambas XXL ! Accompagnés d'un risotto, je n'ai pas regretté mon choix.
Fidèle à ma technique, je m'inspire fortement de la carte Michelin pour guider mes itinéraires. Pour éviter de faire des boucles qui se superposent, une fois la caravane déposée au camping de Bracieux, je me dirige plein sud, en direction du Cher (la rivière).
Il y a deux ans, nous avions visité le château "le Moulin" au nord-ouest de Romorantin. En passant devant l'entrée j'observe que les visites sont définitivement terminées. Je vais savoir un peu plus tard que Monsieur de Marcheville est décédé récemment. Vous pouvez relire le reportage de la visite réalisé en novembre 2018.
Mais, non loin de là, je rejoins le lieu-dit la Straize et sa locature. Je vais vous en résumer l'histoire:
Nous sommes en Loir-et-Cher. Depuis cinq générations, la famille exploite ces terres. Au début ce n'étaient que des métayers travaillant pour le compte du domaine de Fondjuan.
La maison que vous voyez est celle des parents de mon guide. Il y est né et y a vécu enfant. Comme tous les enfants ne pouvaient pas vivre sur la ferme, il est devenu serveur puis est entré à la Compagnie des wagons-lits. A la retraite, il vit à Paris depuis quarante ans mais a conservé la maison familiale dans laquelle il passe plusieurs mois par ans.
Sa sœur et son beau-frère ont repris l'exploitation. Au décès de l'époux, c'est leur fils, donc son neveu, qui a continué. Depuis les arrière-arrière-grands-parents, la famille est devenue propriétaire des bâtiments et de quelques hectares. Le reste des terres est loué.
C'est son frère qui a eu l'idée de réunir tous les souvenirs familiaux, de collectionner les objets du passé, et de transformer deux bâtiments en musée "ferme solognote du XVIe siècle".
Le musée se présente comme une ferme en bois, torchis et briques.
Ce qui fait l'intérêt de ce musée, c'est l'authenticité des objets. Ici, par exemple, le chemisier et la jupe sont ceux que portait la grand-mère sur la photo.
Reconstitution d'un atelier de sabotier. Métier disparu et c'est bien dommage. Mes grands-parents en chaussaient pour aller au jardin.
Mais d'autres métiers y sont aussi représentés: charron, apiculteur...
A moins de deux cents mètres de là, une bâtisse qui de loin ne paye pas de mine. A l'aide d'une subvention de la Fondation du Patrimoine, des restaurations ont été réalisées, mais le budget alloué n'était pas suffisant pour tout faire. Si le cœur vous en dit, vous pouvez souscrire.
A voir le bâtiment de l'extérieur, on peine à imaginer qu'une famille d'ouvrier agricole y vivait jusqu'en 1941! Le fils qui avait connu la maison enfant et qui habite maintenant Romorantin y est revenu il n'y a pas si longtemps.
Basse de plafond, la pièce unique hébergeait toute la famille. Que celles et ceux qui se plaignent d'être mal logés se remémorent dans quelles conditions vivaient leurs aïeux!
Youpala fabrication maison!
Quand l'inventivité permet de répondre aux besoins avec les petits moyens du bord! Il ne manque que la cloche grillagée pour éloigner les mouches.
En discutant avec mon guide, il m'indique le chemin, c'est le mot, pour trouver les étangs et rejoindre le château de Fondjouan. C'est dans ces circonstances que la 2cv donne tout son potentiel! Confort assuré!
Par dessus l'étang
Soudain j'ai vu
Passer les oies sauvages
Elles s'en allaient
Vers le midi
La Méditerranée
Un vol de perdreaux
Par dessus les champs
Montait dans les nuages
La forêt chantait
Le soleil brillait
Au bout des marécages
"La Chasse" de Michel Delpech
Voici donc le logis de l'ancien maître de la propriété. Le château a depuis été vendu et transformé en hôtel restaurant.
La journée se termine. L'église Notre-Dame de Fontaines-en-Sologne est sur le chemin. Construite aux XIIe et XIIIe siècle, son aspect massif et son clocher en bâtière (toit à deux pentes) ne passent pas inaperçus. Elle a été fortifiée au XVe siècle. Bâtie sur une butte, sur la route de Blois à Romorantin, elle possède encore des meurtrières, vestiges de son ancien rôle de place fortifiée.
De retour au camping, le soleil darde ses derniers rayons sur Korrigan. A l'intérieur de la caravane, la température est étouffante. La porte ouverte et la relative fraicheur du début de nuit vont permettre un sommeil acceptable.
Fin de la première journée. Presque 200 kilomètres parcourus. Demain on attaque les châteaux.
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