Par les temps qui courent, ce sont les monuments religieux qui ont la plus forte probabilité d'être ouverts. J'en connais un qui va encore me dire que je m'arrête devant toutes les églises, mais ce n'est pas grave. Je vais taire son nom pour éviter les représailles …
Celle que nous allons visiter ensemble présente un aspect un peu pataud, mais réserve à l'intérieur une richesse peu commune. Il s'agit de l'église Saint-Germain de la Ferté-Loupière, dans le département de l'Yonne. Le village est également fier d'avoir vu Louis VI dit "le Gros" ou "le Batailleur" (cinquième roi de la dynastie des Capétiens directs 1081-1137), boire à la source miraculeuse de Saint-Pantaléon à côté du lavoir. Si ce roi n'éveille aucun souvenir des cours d'histoire, sachez qu'il y est fait allusion dans le film "Les visiteurs". Piètre consolation pour ce roi méconnu de notre histoire de France qui a fini sa vie obèse.
Adèle de Champagne (1140-1206), Reine et veuve de Louis VII est également venue dans le village.
L'église primitive date de la fin du XIe siècle. Elle existait déjà en 1137. Le portail est roman. Si l'annonce de l'âge avancé d'un tel monument ne suscite pas chez nous d'émoi particulier, il faut cependant réaliser que dans d'autres partie du monde, l'idée d'être en face d'un bâtiment vieux de 900 ans parait extraordinaire au regard de la jeunesse du pays. Je pense en particulier aux Australiens ou aux Américains du Nord qui visitent l'Europe.
Il n'y a rien ici qui justifie en soi le déplacement, mais regardez bien le mur gauche. Nous y reviendrons.
Les piliers de l'église primitive sont enfouis sous terre. C'est la lente accumulation d'alluvions de la rivière Vrin (ou Saint Vrain), un des affluents de l'Yonne, qui en est responsable. On évalue la hauteur de ces alluvions à deux mètres! C'est peut-être ce qui donne à l'église cet air trapu.
Le vitrail de l'abside date de 1889. En son centre on y trouve Dieu le Père. Les douze apôtres occupent chacun un médaillon. Jésus et Marie sont tout en haut.
Les quatre saints du village sont mis en scène dans la partie basse: Saint Pantaléon, Saint Eloi, Sainte Barbe et Saint Germain.
Mais nous en venons à ce qui donne à cette église sa particularité et sa richesse: ses peintures murales. Ce ne sont pas des fresques mais des peintures sur enduit sec. Découvertes et mises à jour en 1910, sous une couche de badigeon, elles ont été primées en 2009 par la fondation Prince Louis de Polignac.
La photo qui suit représente la Vierge de l'Annonciation. La tête entourée d'un nimbe (auréole), la femme agenouillée tient dans sa main gauche un livre, et présente une main droite relevée. Ce serait donc la Vierge Marie recevant le salut de l'Ange qui la surprend pendant son oraison (la position de la main serait un signe d'étonnement).
Dans la peinture ci dessous on reconnait Saint Michel terrassant le démon. La ressemblance avec le tableau de Raphaël interroge: la peinture est-elle une copie du tableau ou la reproduction d'une miniature, modèle utilisé aussi par Raphaël ?
La troisième peinture est en fait une saynette. Celle du
"Dict des Trois Morts et des Trois Vifs".
C'est l'histoire de trois nobles qui, lors d'une chasse et aux abords d'un cimetière, rencontrent trois morts vêtus des linceuls dans lesquels ils ont été inhumés. Cette précision devait en son temps avoir de l'importance. L'un d'entre eux tient un pic de fossoyeur et une lance, symbole de la mort foudroyante.
Les morts avertissent les trois nobles: "vous serez comme nous. Par avance, mirez-vous en nous". Les gentilhommes sont invités à renoncer aux vanités de leurs charges, aux honneurs et aux richesses matérielles, conditions pour assurer le salut de leur âmes.
La quatrième et dernière peinture est la plus grande car elle met en scène 42 personnages que je vous propose par groupe. C'est la danse macabre! Voila ce que j'ai trouvé dans l'Encyclopédia Universalis:
"À la fin du Moyen Âge occidental, l'obsession de la mort hante les esprits. On voit alors apparaître dans le théâtre, la poésie, la musique et les arts plastiques le thème allégorique du pouvoir égalisateur de la mort."
"Il s'agit de l'évocation littéraire ou de la représentation picturale d'une danse où des personnages vivants placés hiérarchiquement, du pape et de l'empereur à l'enfant, au clerc et à l'ermite, sont entraînés au tombeau par des squelettes. Le thème de la danse macabre apparaît dans des poèmes de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle qui, tel le "Dict des trois morts et des trois vifs", évoquaient l'inéluctabilité et l'impartialité de la mort. Deux fléaux contribuèrent probablement à la popularité des danses macabres : la peste noire (milieu du XIVe s.) et la guerre de Cent Ans (1337-1453)."
"Il ne faut pas oublier l'élément de satire sociale qui comporte un thème soulignant vigoureusement l'égalité de tous devant la mort et qui contribua vraisemblablement à son succès."
"Le premier exemple de danse macabre figurée est le cycle de peintures (1424) qui se trouvait dans les galeries du cimetière des Innocents à Paris ; toutes les danses macabres en dérivent."
"La hiérarchie de l'Église et de l'État y formait une danse majestueuse, où les vivants alternaient avec des squelettes ou des cadavres. De nombreuses danses macabres décoraient les cloîtres et les nefs des églises en France, en Allemagne, en Estonie, Finlande Suisse …"
Pour les amateurs de charpentes, j'ai fait l'effort de m'allonger sur le sol pour vous offrir ce cliché!
D'accord ce n'est pas l'escalier à double vis de Chambord, mais je l'ai trouvé intéressant. C'est une belle pièce de menuiserie. Hélas, comme toujours il n'est pas possible de le gravir!
Vu de l'arrière, le clocher peu commun est bien mis en valeur à travers les branches de tilleul.
Un peu plus loin, on signale au passant la présence d'un jardin: le jardin d'Octave. Mais qui est donc cet Octave?
Octave est le maire, ou l'ancien maire, je ne sais plus, paysagiste de profession, qui a créé un petit jardin public sur l'emplacement de celui des moines de l'ancien prieuré.
Organisé en carrés séparés par des allées herbeuses, on y trouve des plantes sympa et peu communes comme par exemple ce Sisyrinchium striatum. Cousine de l'iris, c'est une plante vivace rhizomateuse et persistante.
Pour celle-ci je n'ai pas son nom, mais je l'ai trouvée amusante et peu banale. Testons vos connaissances en botanique.
Vous avez trouvé? Elle vient de l'est du bassin méditerranéen.
Au détour des ruelles nous tombons sur des verrières derrière lesquelles on entrevoit des objets hétéroclites et des toiles de peintre.
La porte est ouverte. Je m'avance et tombe sur la propriétaire des lieux, tout droit sortie de sa sieste et pas encore complètement réveillée.
' Bonjour Madame, peux-t-on renter?. Oui bien sûr...'
Voila l'antre! Habitation d'une personne un peu sauvage? Pas tout à fait car c'est une artiste qui vit ici et elle est très sociable. Les artistes sont toujours un peu hors de la norme; c'est bien le cas.
Ces quelques mots sont d'elle: "Peindre pour célébrer la vie, pour en chercher le sens, l’essence. Tendre à en révéler le mystère, la beauté. De la matière à la lumière, dans la vie comme dans l’art, recherche permanente…"
Son nom d'artiste est Emaëlle Ash. Emaëlle avec deux m est un prénom rare. Avec un seul m, cela l'est encore plus. Je ne vais pas vous communiquer mon ressenti sur la personne. Ses oeuvres parlent pour elle. Jugez-en par vous même!
Vous comprenez mieux la signification du titre de ce reportage… chacun y voit ce qu'il veut.
Si ces oeuvres vous inspirent, allez donc faire un tour sur le site d'Emaëlle.
Sur le chemin du retour, une petite photo devant les halles de Charny.
Petit détour par Fontainejean et son gué pour rafraichir les roues de notre fidèle destrier!
La boucle est bouclée et cette petite sortie de 140 kilomètre m'a donné des idées pour de futurs rallye touristiques ...
Déconfinement artistique en 2cv
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