Rallye d’Automne octobre 2018 Hotchkiss 3
Nous parlons ici d'un rallye d'automne. Et dans rallye d'automne, il y a automne. Et en automne, les plantes se préparent pour l'hiver: les feuilles tombent en réponse à des signaux environnementaux tels que le froid et la diminution de la durée du jour. Pas de panique, car décomposées, elles vont se transformer en nutriments et contribuer à enrichir le sol et à protéger la plante des embolies hivernales.
Mais ce que les forestiers et autres experts ne vous disent pas, c'est que la chute des feuilles peut aussi servir de faire valoir à une belle peinture. Merci à Patrick Gouyer et à son carrossier. Vous trouverez ses coordonnées dans mes bonnes adresses.
En ce matin du dimanche, la plupart déjeunent tranquillement, sauf Serge, dont la Citroën Traction 11B, utilisée en raison d'une faiblesse de son Hotchkiss, se venge d'une inactivité prolongée. La jalousie serait-elle aussi un sentiment de nos anciennes quand elles sont délaissées?
Bref, Serge, à grand renfort d'huile et de dégrippant, s'active à faire tourner le moteur sur quatre cylindres. L'homme, qui a participé à de nombreux rallyes en terres inconnues, et en particulier à plusieurs Paris Dakar, a toutes les compétences pour traiter le problème.
Je souhaite vous présenter ici une voiture un peu particulière. Les plus avertis d'entre vous ont reconnu une Hotchkiss Anjou. Certes, mais ce qui rend cet exemplaire particulier, c'est qu'il a été revu par Henri Chapron, dont vous savez qu'il était natif de Nouan le Fuzelier, en plein cœur de la Sologne.
Entre autres, deux détails de finition la démarquent des Anjou habituelles: un petit marche-pieds et des charnières de malle extérieures.
Pour en revenir à la saison, certains arbres offrent une parure roussie que pourrait envier Mylène Farmer, une référence comme chacun sait.
Mais un des aspects qui m'attirent en Sologne, c'est l'architecture et les matériaux utilisés pour construire.
Nous sommes ici à Marcilly-en-Gault. La maison Foussydoire est une des curiosités du village: briques et colombage. En vérité, les briques restèrent longtemps un matériau réservé aux édifices religieux et aux châteaux. C'est le torchis qui était utilisé entre les pans de bois. De même, les toits étaient recouverts de chaumes ou de roseaux. Ce n'est qu'à partir du début du XIXe siècle que les briques apparaissent. La tuile remplacera aussi les couvertures végétales dans la deuxième partie du XIXe.
Au gré d'une clairière à peine visible de la route, on aperçoit des petites maisons.
A l'ombre du couvert des arbres, émergeant des feuilles qui jonchent le sol, nous découvrons, un peu comme des bans de poissons, par ci par là, des zones couvertes de petites fleurs. Ce sont des Cyclamens de Naples. En floraison d'août à octobre, ces plantes se multiplient par semis, avec l'aide des fourmis qui éparpillent les graines. Ses pétales tournés vers le sol, la modestie de cette petite plante d'origine méditerranéenne n'a d'égal que son côté grégaire, car elle se développe en nombre. Pour être honnête, il m'a fallu chercher pour retrouver le nom.
Ma première rencontre avec la Sologne eut lieu lors d'un week-end de cyclotourisme en 1980. J'en ai gardé le souvenir ému des brumes qui se dégagent des étangs, les matins frisquets du printemps, quand la fraicheur de l'air rencontre la tiédeur des étendues d'eau. La Sologne compte, dit-on, pas moins de 8000 étangs. Hélas, les conditions n'étaient pas réunies en cette mi octobre pour reproduire le phénomène, et ce n'est que par un beau soleil que j'ai pu prendre ce cliché.
Comme à l'accoutumée, les Hotchkiss s'éparpillent sur les petites routes. Ici, je vous présente Claude et son cabriolet Languedoc de 1950. Claude, si vous suivez les récits des rallyes Hotchkiss, était le local de l'étape qui nous a fait découvrir sa région en mai 2017, lors du Rallye National en Lorraine, et plus particulièrement en Vôge.
Claude ne roule jamais seul. Il est toujours accompagné d'un copilote. Hoscar ayant été prématurément rappelé au paradis canin, c'est maintenant Never qui prend la relève. Le jeune labrador en étant à son premier rallye, avait mal supporté le voyage depuis les Vosges. Il semble ici s'être habitué, et a compris que, la capote ouverte, il vaut mieux être couché quand on roule. Sur ce cliché, la voiture est immobile.
Mais la Sologne est aussi une terre de chasse. C'est pour cette raison que c'est la valeur du terrain qui prime souvent sur celle du bâti.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer l'introduction du site internet du Solonais:
"Une faune et une flore exceptionnelles. La Sologne des Princes aux Raboliots nous offre des plaisirs intenses. Nous nous devons d’honorer ses trésors".
Ce que je trouve paradoxal, dans la phrase, c'est le mélange des genres; en effet parler de Raboliots ( référence au livre de Maurice Genevoix, primé au Goncourt en 1925) c'est mélanger les pratiques de braconnage et celles des grands propriétaires. Je ne pensais pas que ces deux mondes étaient compatibles.
Un livre de route, aussi bien fait soit-il, n'interdit pas l'erreur d'un copilote, distrait l'espace d'un instant. La présence de la reproduction d'une carte routière aurait-elle été un détrompeur? Personnellement je le pense. Ce qui est par contre sûr, c'est que la bande de moutons de Panurge qui suivait a fait aveuglement confiance à un guide étourdi. Je vous laisse imaginer les petits bras musclés qui ont du souquer fort pour faire demi-tour sur cette route étroite, moi inclus.
Bref, après quarante kilomètres nous arrivons au point d'orgue de notre matinée: le château du Moulin. Nous y accédons par une route en terre, mais néanmoins très praticable. Le château étant fermé aux visites en cette période, ce sont deux portails que le propriétaire en personne nous ouvre et referme derrière nous.
Décidément, notre nouveau président rencontre quelques soucis avec son Hotchkiss 2050 GS de 1951. En fait, la voiture fait du vapor lock. Surchauffe du moteur ou faiblesse de la pression de la pompe à essence, je n'en connais pas la cause. Un petit séjour chez un bon mécanicien pendant l'hiver ne serait pas de trop.
Toujours est-il que les membres du club déjà présents vont unir leurs efforts pour garer la voiture à l'ancienne.
Nous voici donc devant le château du Moulin. N'y cherchez pas de moulin, il n'y en a jamais eu. Le nom provient du patronyme de son premier propriétaire, Philippe du Moulin.
Ami d'enfance et écuyer de Charles VIII, il va lui sauver la vie lors d'une guerre avec l'Italie en 1495. Cela va lui valoir d'être anobli sur le champ.
Cela ne va pas porter chance pour autant à ce pauvre roi. Non seulement aucun des six enfants conçus avec son épouse Anne de Bretagne ne survivra, mais lui-même va mourir en 1498 au château qui l'a vu naître, Amboise. Mourir fait partie du cycle de la vie, mais à 27 ans c'est un peu dommage, surtout en se cognant la tête sur une poutre en revenant des pissotières! On a connu plus noble comme fin!
Pour faire court, Philippe du Moulin épouse Charlotte d'Argouges. Veuve d'une première union, elle apporte dans la corbeille une somme de 10 000 pièces d'or. L'apport est bien utile pour lancer le projet du château. Et comme disait un vieux notaire, "une femme riche embrasse aussi bien qu'une femme pauvre". (à prendre au second degré, bien entendu).
Sous réserve que:
Vous allez peut être faire le lien entre Thierry la Fronde (52 épisodes!) et le château qui est en arrière plan de l'affiche. C'est bien le château du Moulin qui a servi de cadre au tournage de cette série culte, version française de Robin des Bois.
Ecoutez la musique, vous allez rajeunir de 50 ans!
A l'origine ce château était une place forte protégée par 50 soldats qui y logeaient avec leur famille. Comme beaucoup de monuments de ce type, lors de la révolution Française, et aussi sous Napoléon, il sera pillé.
Avant de visiter l'intérieur, nous avons, sur les conseils du propriétaire, découvert les extérieurs en suivant les douves.
De prime abord on s'attend à un carré fortifié.
Au fur et à mesure de notre marche, nous réalisons que deux côtés ont été démolis.
C'est le grand C'est l'arrière-grand-père de l'actuel propriétaire, Monsieur Marcel de Marchéville, qui acquiert le domaine en 1901. Dès 1902 il entreprend sa restauration en vue d'en faire une maison de famille avec dix chambres, toutes "en suite". Les 400 hectares de terres vont se réduire au fil des successions.
La porte mérite quelques explications du fait des matériaux et des techniques utilisés. Tout d'abord, le pont levis a été remplacé par un pont fixe. Ensuite, le bois utilisé est du cœur de chêne flotté, c'est à dire qu'il a été immergé pendant 20 ans, durée pendant laquelle il s'est chargé en minéraux, ce qui lui confère une plus grande résistance. De mémoire, cette technique était aussi utilisée dans la construction des bateaux.
L'autre particularité réside dans l'assemblage des planches verticales de l'extérieur, et celles horizontales de l'intérieur, par des clous fendus sur l'arrière.
Aujourd'hui le logis principal compte trois niveaux habitables, de deux pièces chacun. L'ensemble est globalement meublé en style Louis XIII, parfois mixé avec du Louis XIV ou du Renaissance, avec de très nombreux coffres qui occupent l'espace, et des tapisseries d'Aubusson du type millefleurs.
Au rez-de-chaussée, on trouve le salon, la salle à manger et la chapelle, dont on a aperçu l'excroissance du parking. Elle est plus impressionnante de l'extérieur que de l'intérieur. Consacrée, elle est éclairée par des vitraux dont les parties supérieures sont polychromes et datent du XVe siècle. Ils représentent, de gauche à droite, la vierge Marie, le Christ en croix, et Saint Jean.
Le plafond du salon d'apparat date du XVIe siècle. Il est en châtaigner peint et n'a jamais été retouché. Remarquable conservation ici encore.
Dans la partie que nous visitons, les deux étages sont constitués de deux chambres par niveau.
D'une manière générale, je ne suis pas impressionné par le sol, même si celui-ci a été fabriqué spécialement à Paris lors de la restauration. Il ne me semble pas s'assortir avec le style général. Il remplace les tomettes abimées. C'est une opinion toute personnelle.
Dans cette chambre on trouve plusieurs meubles d'origine Bretonne, et en particulier une Malouinière.
Par contre, Monsieur de Marchéville avait non seulement mis l'électricité, mais aussi fait installer un ingénieux système de chauffage, grâce aux plaques de cheminées et à des canalisations de vapeur d'eau. Un luxe pour l'époque.
L'ancienne salle des gardes avait déjà été transformée en cuisine. C'est la troisième pièce dont le plafond est vouté, après le porche et la chapelle. Vous aurez remarqué, à la verticale des fleurs, la roue qui, mue par un chien, entrainait le tourne-broche.
Je ne connais pas la raison de la présence de Saint Guénolé en cette demeure. La légende lui prête quelques miracles comme celui accompli sur sa petite sœur.
"Un jour, une oie s'empare des yeux de sa jeune sœur et les mange tous les deux. Guénolé décide d'aller récupérer les yeux, repère le jars présumé coupable, l'éventre et reprend les yeux de sa sœur pour les lui rendre. Il la signe de la croix et celle-ci recouvre la vue. C'est ainsi que Guénolé est devenu saint Guénolé et le patron des oculistes".
"Une autre fois, pris dans une brutale tempête, Guénolé la calme par un signe de croix. Depuis, le saint est invoqué pour la quiétude des marins, et fait de saint Guénolé le patron des femmes de marins-pêcheurs."
La visite terminée, nous retrouvons nos voitures. Point ici de collants ni de frondes chez les membres du club. Point de chant du départ non plus. Thierry la Fronde, lui, disait:
Ami le temps n'est plus aux chansons
Il faut partir, laisser ta maison
Et tout quitter, jusqu'à son nom
Compagnon ! Compagnon !
A défaut de guerroyer, il nous faut manger, et c'est dans un restaurant de Soings-en-Sologne, du nom de "Le vieux fusil", que nous nous attablons.
le menu "Délice de Sologne" nous propose:
Tatin de cèpes,
Tournedos de cerf sauce grand veneur et
Framboisier maison aux fruits frais.
De quoi tenir jusqu'au soir sans craindre une hypoglycémie.
Une fois repus, c'est le moment des adieux. Certains ont plus de route que d'autres, et ils mettront deux jours à rentrer chez eux.
Nous servons de poisson pilote à Claude, notre vosgien, qui nous suit jusqu'à Sully-sur-Loire. Never n'est pas encore familier des cartes routières.
© Eric Nicolas 2021. Site créé par l'Astrolabe 🚀
[…] Il y a deux ans, nous avions visité le château « le Moulin » au nord-ouest de Romorantin. En passant devant l’entrée j’observe que les visites sont définitivement terminées. Je vais savoir un peu plus tard que Monsieur de Marcheville est décédé récemment. Vous pouvez relire le reportage de la visite réalisé en novembre 2018. […]